story-telling is the new trend

« C'est quoi ce bordel ?! » La voix de Thaleia résonne dans la cuisine, tandis qu'elle écrase un vieux dossier poussiéreux sur la table, face à sa mère. Elle semble hors d'elle, elle qui en temps normal est plutôt le genre d'ado plutôt sympa. Et sa mère semble complètement paniquée, pareil au lièvre pris dans les phares d'une voiture. Elle bafouille, n'osant qu'à peine effleurer le dossier du bout des doigts comme si il allait lui brûler la peau. Thal, en temps normal attendrait patiemment des explications, mais là, elle en est tout simplement incapable. « Je veux des explications ! » Cette fois elle hurle, frappant du poing la table, comme pour ponctuer un peu plus sa phrase. « Thaleia, chérie, assieds-toi s'il te plaît. » La voix de la mère contraste avec celle de la fille, tant elle est calme et posée. C'est comme si elle ne voulait pas la brusquer d'avantage. « Je veux des explications, pas m'assoir ! » Elle bouillonne, et finalement ce n'est pas forcément que de la colère, mais peut être aussi cette sensation d'avoir été trahie toutes ces année. « Très bien, très bien. Maman Davies se pince les lèvres, tentant de chercher ses mots, n'arrivant plus à regarder sa fille dans les yeux. Ce que tu as lu dans ce dossier et vrai... Ton père et moi, nous voulions te dire la vérité. Vraiment. Mais on a jamais su trouver les mots, et les années passant, on a plus osé tout te dire, pensant que tu étais trop âgée... » Elle ne lui ment pas, tente d'être honnête cette fois, sans trop brusquer sa fille en même temps. Elle regrette à présent de devoir faire ça de cette manière, et sans le père de Thaleia. Cette dernière d'ailleurs ne dit plus rien, sentant les larmes lui monter aux yeux, face a cette vérité qui lui est révélée seize ans trop tard. Rageuse, elle s'empare du dossier et sort de la maison telle une tornade. Son petit monde parfait s'est écroulé en une fraction de seconde. Pourquoi il a fallu qu'elle ait fouiller dans le garage, pourquoi il a fallu qu'elle tombe sur ce foutu dossier d'adoption ?!


Elle se retrouve là, un peu comme une conne, face à cette porte à la peinture verte écaillée. Elle a toqué trois fois, après avoir hésité une bonne dizaine de minutes. Depuis les secondes semblent être des petites éternités qui s'écrasent une à une sur ses frêles épaules. Et c'est lorsqu'elle se dit qu'elle ferait mieux de partir, qu'une voix tonitruante se fait entendre derrière elle. « C'est pour quoi ? » Lorsqu'elle se retourne, elle découvre un type portant un t-shirt crasseux couvrant à peine sa bedaine... Elle a un vieux goût de bile qui lui remonte dans la bouche avant de réussir à prendre son courage à deux mains. « Vous êtes Patrick O'Mahony ? » Elle fait un pas vers lui, sans vraiment s'en rendre compte. Et le type en face d'elle, se gratte disgracieusement l'entre-jambe, et c'est à ce moment qu'elle remarque la bouteille de bière qu'il tient dans son autre main. « Ça dépend, si j'te dois de la thune ou pas princesse... » Plus il parle, moins Thaleia a envie de continuer ce qu'elle est en train de faire. Mais elle a traversé la moitié de l'Etat pour ça, alors elle ne peut plus reculer. « Je suis Thaleia Davies, enfin O'Mahony. Je suis ta fille. » La bombe est lâchée, tout comme la bouteille de bière que son géniteur tenait, et qui vient s'écraser au sol. Il ne prononce pas un mot, se contentant de retourner à l'intérieur, et alors que Thal pense que tout est déjà fini, il lui fait signe de rentrer, en secouant son deuxième menton. Charmant. Et la suite ne sera en rien moins décevante. Retirée à la naissance à ses parents, dealeurs de drogue, sa mère a disparu de la circulation six mois plus tard, ne restait alors que son père, devenu un alcoolique et un raté par la suite. Avoir fait vivre l'enfer à sa famille, avoir fugué, tout ça pour découvrir à quel point sa famille biologique n'est qu'un ramassis de merde, Thal se sent un peu comme une merde pour le coup. Mais ça ne changera pas pour autant son comportement envers eux, pendant au moins les deux prochaines années.


Elle ouvre les yeux, et la lumière lui agresse la rétine comme jamais. Tourner la tête histoire de voir ce qui se trouve autour d'elle, ne lui a jamais paru aussi difficile. Bordel, qu'est-ce qui s'est passé ?! Elle arrive même pas à parler, et c'est à ce moment précis qu'une femme en blouse blanche choisit d'entrer. « Mademoiselle Davies, vous êtes réveillée ! Elle semble bien enthousiaste, et Thaleia n'est pas vraiment sûre de comprendre pourquoi. Même si doucement ses pensées commencent à se remettre en place. Est-ce que vous pouvez parler ? Son maigre oui semble lui suffire, puisqu'elle continue avec ses questions. Vous pouvez me dire votre nom et votre âge ? » Thal la regarde comme si elle était une extra-terrestre, mais s'exécute tout de même. « Thaleia Davies, vingt-trois ans. Sa voix est enrouée, et sa gorge la fait souffrir à chaque mot qui passe la barrière de ses lèvres, mais elle continue quand même. Vous pouvez me dire ce qui m'est arrivée ? » Profonde inspiration de la part de la femme en face d'elle, tandis qu'elle parcours rapidement un dossier. Et ensuite elle se penche sur elle, pointant une lampe droit dans ses yeux. « Vous avez fait une mauvaise chute en faisant de l'escalade. Vous avez une jambe cassée, et une vilaine commotion cérébrale. Ok, voilà pourquoi elle se retrouve là, couchée, sans vraiment se rappeler quoi que ce soit. Mais alors qu'elle pensait qu'elle avait terminé, la voilà qui reprend. Vous venez de vous réveiller de trois semaines de coma, mais apparemment il n'y a aucune séquelle à votre accident, ce qui est une très bonne nouvelle ! » Et sa sortie d'hôpital arriva en à peine une semaine, après que sa mère lui ait expliqué les détails de son accident. Tout était de sa faute, entièrement, s'étant mal assurée, elle avait dévissé, et rencontré le sol un peu trop violemment...


« Vous m'aviez dit qu'il n'y avait aucune séquelle ! Elle s'emporte, peut être injustement face à sa neurologue, mais elle ne supporte pas cette injustice qui s'abat sur elle. Ma main s'est mise à trembler ! Je suis plus capable de tirer ! Vous vous rendez compte de ce que ça veut dire pour moi ?! » La doctoresse en face d'elle tente de garder consistance. Elle sait que sa jeune patiente est une tireuse à l'arc talentueuse, et très prometteuse. On lui promet une grande carrière, on la voit déjà aux prochains jeux olympiques ! Et là elle lui annonce que sa main se met à trembler sans raison, n'importe quand. « Je suis désolée Thaleia, selon tes examens il n'y avait aucune séquelle. Mais on a très bien pu passer à coté de ce qui se passe avec ta main... Je n'aurai jamais dû t'annoncer que tu allais bien aussi rapidement, j'aurais dû attendre afin d'être sûre. Je suis vraiment navrée. » Elle semble sincère, vraiment, pourtant ça ne soulage en rien la brune, qui sent sa gorge se serrer. Les larmes perlent aux coins de ses yeux, alors pour éviter de craquer Thal utilise le seul mécanisme de défense qu'elle connaît, elle se met à agresser cette pauvre neurologue. « Mais j'en ai rien à foutre moi de vos excuses à la con ! Je veux récupérer ma main d'avant ! Réparez-la ! » Elle crie, et s'agite sur sa chaise, sa voix malgré tout tremblante. « Thaleia, on peut faire plus d'examens au sujet de tes tremblements, mais je ne pense pas qu'on puisse y changer quoi que ce soit. » « Faites ce que vous voulez, mais réparez votre connerie ! » C'est moche, très moche ce qu'elle vient de dire, et elle s'en rend compte, au fond ce n'est pas la faute de son médecin si elle en est là, mais uniquement la sienne. Alors plutôt que de s'excuser, elle préfère sortir de la pièce en claquant la porte derrière elle.


Elle soupire, encore, et toujours, comme si c'était un truc tellement naturel pour elle, comme une seconde nature même ! Assise en tailleur sur sa chaise à la table de la cuisine, elle retire le stylo qu'elle mâchouillait pour entourer une nouvelle annonce sur le papier recyclé posé devant ses yeux. « Sérieusement, y a pas un job de potable dans cette connerie de journal. » Et elle ponctue sa phrase en jetant son stylo sur la table, comme s'il y avait besoin de ça pour qu'on comprenne qu'elle n'est pas contente. Depuis son accident Thaleia n'a plus rien fait de sa vie, étant restée vivre chez ses parents durant plus d'un an. C'est pas vraiment la déprime qui l'a poussée à se laisser aller, mais plus le dégoût de voir ses rêves s'envoler. Car avec le temps, même si ses tremblements se sont calmés, ils n'en demeurent pas moins toujours présents... Une chose à laquelle elle a fini par s'habituer, tout comme ses amis d'ailleurs. En même temps, étant définitifs, elle n'a pas trop eu le choix. « Tu me vois vendre du fromage ? » Qu'elle rigole avec sa coloc la plus proche. Un rire qui va vite devenir jaune, lorsqu'elle se rendra compte qu'elle n'a pas d'autre choix, si elle veut pouvoir continuer à payer son loyer. Parce que comme la logique le veut, ses parents ont décidé d'arrêter de la financer dès qu'elle a soufflé ses vingt-cinq bougies. Et puis bon, de toute façon il est un peu temps qu'elle se prenne en main. Elle est déjà partie de chez papa et maman, la prochaine étape est de devenir indépendante financièrement.