PORTRAIT CHINOIS

Si j'étais un objet, je serais un briquet de type zippo, que l'on voit toujours aux mains des galants dans les films. Et toujours, il tend une flamme à une élégante potiche, dont le fume-cigarette tremble de satisfaction. Adorable scène que j'ai vu des millions de fois dans les films d'antan. Je ne pourrais dire le nombre de fois où j'ai rêvé de me tenir à leur place, de recevoir la flamme d'un parfait inconnu.

Si j'étais une saison, je serais l'hiver, lors duquel les mains sont bleues, les joues roses, et les membres endormis dans le froid sauvage. Je serais la neige sublime qui se niche dans les cheveux des petits enfants, fait trembler le cou des aventureux. Mon vent glacial sera aussi autoritaire que mille chiens de l'enfer, ordonnant à tout être d'obéir à un câlin universel, à des milliers de couples formés sous le joug de ma gentille hostilité.

Si j'étais un animal, je serais un lévrier, qui pourfend son environnement quoiqu'il arrive. Le gracieux animal qui court, qui vole. Le sol, sous ses pas, n'est rien. J'admire sa fantastique détente, son inépuisable course qu'il mène contre tous. Ainsi, je n'aurais personne pour me rattraper, ni pour me morigéner ! Et tout ça, car j'irais bien plus vite, tout en me drapant d'élégance.

Si j'étais une chanson, je serais Mr Sandman et cet air entêtant des années cinquante. Une foule de voix féminines, qui une fois écoutées ne peuvent être enlevée de la tête, et ainsi jamais ignorées. Car souvent, mes parents oubliaient d'écouter mes babillages incessants – ainsi qu'ils étaient dénommés, et je devais me répéter. Maman disait alors que j'étais capricieuse, à vouloir être entendue au delà de toute autre conversation. Mais moi, je pense pas que j'étais, suis, comme ça. Ce n'est pas du caprice que d'avoir une voix et de la faire entendre, c'est du bon sens, donc ce serait très drôle si je pouvais être cette chanson.

Si j'étais une devise, je serais Carpe Diem. Seize the day ! Suck the marrow out of life ! Ah, ce merveilleux film qui a changé si drastiquement la vision d'une petite fille. Je me souviens encore de la petite boule d'enfance, emmitouflée dans mille et une couvertures, la respiration calme de ma mère, et le délice de ce film. Depuis ce jour, je n'ai cessé de jurer par Carpe Diem, par les mille et uns apprentissages qui me sont venus à l'esprit, par la grandeur dont je me suis sentie pleine après le douzième visionnage. C'est sans doute à cause de ce film que j'ai envie de partir aujourd'hui, que je vais abandonner Albertin. Avec lui, on sirote notre thé et on ne bouge jamais. On ne déclame rien et au final on n'est pas grand chose.

Si je devais me transposer dans un film, ce serait Inglorious Basterd. Évidement, ça a été dur de choisir entre ça et mes Poètes Disparus, qui à l'oreille me chantent d'adorables Carpe Diem. Assurément que mon cœur se brise quand je viens à faire un choix. Mais faut bien être réaliste – mon Papa me l'avait si souvent dit, je vais rien gagner à me transposer dans une école préparatoire dans le Vermont pour garçon. J'ai pas une tête de garçon, si ? Puis, si je veux m'enfuir dans les bois pour déclamer de la poésie, ça je peux le faire à tout âge. Alors que bon, aujourd'hui je ne peux pas m'envoyer dans le passé, et être une grande détective : à chaque fois que je vois les Bâtards, je m'imagine comme l'énième larron féminin dont l'arme sera son cerveau. Je me plais à dessiner des millions d'histoires héroïque où j'aurais un rôle d'agent double absolument fantastique, autant un agent de liaison qu'une justicière au grand cœur. Une vie comme ça, j'aimerais beaucoup.

Si je devais avoir un pouvoir digne des X-Men, ce serait celui de Mystic. Car ce serait l'occasion de mener une vie de farces sucrées comme personne ne l'ose : je crois que je pourrais me lasser de prendre l'apparence de célébrités, et surtout celle de Leonardo Dicaprio. J'irais me voir au cinéma, bien au milieu du monde, et dès que le film serait bien avancé j'interpellerais ma voisine pour me plaindre de l'acteur principal. Juste pour voir la tête de la spectatrice qui se demandera certainement une bonne vingtaine de fois si elle n'a pas rêvé. Ou celle de Voldemort ! Je me planterais en plein milieu des rues de Londres, et franchement je serais très heureuse de mesurer l'ampleur de mes blagues. Et puis, je me changerais aussi en Albertin pour aller dire à cette jolie fille qui la regarde tout le temps qu'il veut pas d'elle. En fait, ce pouvoir-là c'est la liberté, car c'est la prison d'être tout le temps la même personne.